Gagner en productivité, améliorer les processus organisationnels, renforcer la qualité de l’expérience client : les promesses de l’intelligence artificielle ont largement de quoi séduire les entreprises. Mais peut-on parler de révolution ? « Les organisations ne partent pas d’une page blanche, nuance Julien Maldonato, associé chez Deloitte. Elles s’appuient sur des systèmes d’informations complexes, qui embarquent de multiples outils. » Pour cet expert en digital et technologies de rupture, « l’IA peut apporter de la valeur et des gains d’efficacité, mais actuellement les résultats probants concernent des tâches spécifiques et non des processus complexes ».
Les entreprises françaises intègrent de plus en plus l’IA
Si la maturité technologique de l’IA est sans doute insuffisante pour répondre à toutes les attentes des entreprises, elle offre néanmoins de vrais leviers de croissance. D’après l’étude comparative menée en 2019 par Deloitte dans plusieurs pays, deux tiers des professionnels interrogés estiment que l’IA est devenue indispensable à la réussite de leur entreprise aujourd’hui et envisagent une transformation complète de leur secteur au cours des cinq prochaines années.
En France, cette transformation passe par l’externalisation et le recours aux partenariats afin de développer notamment des solutions sur mesure. « L’alignement entre la France et les autres pays étudiés – dont les États-Unis, le Canada, la Chine, l’Allemagne… – concerne surtout l’usage d’APIs (logiciels d’application) ou encore de solutions co-développées avec des entreprises spécialisées. Les entreprises françaises sont en revanche plus réticentes vis-à-vis des briques d’IA proposées par les Gafa ». Pour autant, ni la France ni l’Europe ne sont encore en avance sur le sujet : la Chine a annoncé un investissement 150 milliards de dollars dans l’intelligence artificielle (IA) d’ici à 2030 et les États-Unis ont déclaré en faire une priorité nationale. En comparaison, l’Europe a annoncé un investissement de 20 milliards d’euros d’ici 2020… La course est bel et bien lancée.
Vers une analyse sémantique plus efficace ?
Parmi les innovations les plus abouties issues de l’IA, le machine learning (ou apprentissage automatique) a donné naissance à la reconnaissance vocale. Une prouesse bien connue par de nombreux utilisateurs notamment sous le nom de Siri. Si la technologie promet de transformer d’ici peu la relation client en profondeur, rien n’est encore fait. La reproduction artificielle de la voix gagne en qualité mais l’absence de construction sémantique de contenus limite les possibilités. « Nous n’en sommes pas encore au stade de la génération d’un langage naturel », confirme Julien Maldonato. La compréhension conversationnelle est ainsi très limitée. Pour l’expert, l’apprentissage automatique relève moins pour l’instant d’un réel apprentissage que de l’exploitation des données : « Nous sommes encore loin d’atteindre le niveau de performances cognitives de l’apprentissage humain. Il faudra quelques minutes seulement pour qu’un enfant comprenne le concept de « chat » alors qu’une machine aura besoin d’intégrer des milliers de photos pour parvenir au même résultat. Il sera possible de parler de réelle intelligence artificielle quand celle-ci s’apparentera à la biochimie cérébrale ou quand la physique quantique donnera lieu à l’émergence d’une autre science informatique. »
Optimiser des tâches spécifiques
Pour l’instant, l’IA est mobilisée sur des segments précis. Comme l’explique Julien Maldonato, « les entreprises peuvent délester leurs équipes de tâches routinières pour les impliquer dans des activités à plus forte valeur ajoutée ». Par exemple, elle est utilisée en marketing pour améliorer les modèles de segmentation, en s’appuyant sur les données comportementales collectées en ligne. La modélisation du risque est également une application qui intéresse plusieurs secteurs, comme la banque et l’assurance. « En termes de gestion des opérations, le machine learning peut servir à améliorer des modèles d’allocation des tâches et de pilotage du travail, indique Julien Maldonato. Il peut aussi aider à une meilleure anticipation dans la chaîne logistique, de l’approvisionnement à la gestion des stocks. »
D’autres fonctions sont concernées : la finance – pour améliorer la consommation et le pilotage de budgets – ou encore les RH – pour affiner le recrutement. Un exemple de cette pratique est l’algorithme intelligent du réseau social LinkedIn qui quantifie les compétences du postulant par rapport à l’offre de l’entreprise. Il réalise ensuite un classement en pondérant les compétences par rapport aux besoins de poste, à sa formation et à ses expériences. Autre application : dans le secteur industriel, des capteurs peuvent apporter des données précieuses sur l’efficacité de la chaîne logistique, ou encore sur la maintenance. Le secteur de l’énergie recourt également à ce système en les installant sur les infrastructures, pour un meilleur pilotage. « Dans le cadre de l’industrie 4.0, des tests de réalité augmentée permettent aux opérateurs d’apprendre certains gestes de réparation », ajoute l’associé Deloitte. Quant aux méthodes de recommandation automatique déployées dans l’industrie marchande (tels que Netflix ou Spotify), elles ont encore tendance à enfermer le consommateur dans des « bulles » de préférence, ce qui se révèle contre-productif. Pour l’expert, si des améliorations existent, la rupture technologique est encore à venir.